
Un maire peut-il imposer un menu unique à la cantine scolaire et interdire les repas de substitution ?
Publié le :
08/09/2025
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Dans certaines communes, des décisions municipales tendent à restreindre l’offre de restauration scolaire à un menu unique, excluant toute possibilité de repas de substitution pour des motifs personnels, médicaux ou religieux. Ces décisions, souvent justifiées par le principe de laïcité ou des impératifs organisationnels, posent une question juridique importante : un maire peut-il légalement interdire les repas de substitution et imposer un menu unique dans les cantines scolaires ?
Le droit positif, éclairé par la jurisprudence du Conseil d’État et des Cours administratives d’appel, conduit à une réponse nuancée : si les collectivités territoriales ne sont pas obligées de proposer des menus différenciés, elles ne peuvent, en revanche, priver certains élèves de l’accès effectif au service public de restauration scolaire.
I. L'absence d'obligation de proposer des repas différenciés n'exclut pas la prise en compte de l’intérêt général
Le cadre juridique applicable repose d’abord sur l’absence d’obligation légale pour les collectivités territoriales de prévoir des repas adaptés. Le Conseil d’État, dans une décision de principe (CE, 11 décembre 2020, n°426483), a rappelé que « Ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public ne font obstacle à ce que des repas de substitution soient proposés. Toutefois, les usagers ne peuvent pas exiger un tel aménagement. »Cette position est conforme à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, selon lequel la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Il interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers.
Néanmoins, le Conseil d’État a également précisé que lorsque les collectivités territoriales choisissent d’organiser un service de restauration scolaire, elles doivent le faire en tenant compte de l’intérêt général, notamment de l’objectif selon lequel tous les enfants doivent pouvoir bénéficier effectivement du service public. L’organisation de ce service doit ainsi être proportionnée aux exigences du bon fonctionnement et aux moyens disponibles (CE, 11 décembre 2020, précité).
En d'autres termes, si les collectivités peuvent opter pour un menu unique, elles doivent justifier ce choix au regard des contraintes concrètes qu'elles rencontrent, et non sur des principes abstraits comme celui de la laïcité, qui ne s’oppose pas, par lui-même, à l'existence de repas différenciés.
II. L’illégalité d’un menu unique imposé sans justification objective : jurisprudences Marignane et Tassin-la-Demi-Lune
La mise en œuvre du menu unique sans repas de substitution a été sanctionnée par la jurisprudence récente, notamment lorsque cette organisation conduit à exclure de fait certains élèves du service public.
À Marignane, le maire a imposé un menu unique par note de service et donné instruction aux agents de restauration de servir obligatoirement la viande aux élèves, sans possibilité de substitution ou même de retrait de cet aliment. Cette pratique a pour effet d’écarter les élèves ne consommant pas de viande pour des raisons religieuses, éthiques ou médicales, et ne leur permet même pas de bénéficier des autres composantes du repas. Une telle organisation, en ce qu’elle empêche l’accès égalitaire au service public de la restauration scolaire, apparaît comme contraire à la jurisprudence du Conseil d’État précitée.
Cette position a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 10 juillet 2025 concernant la commune de Tassin-la-Demi-Lune (CAA Lyon, 4e chambre, 10 juillet 2025, n°24LY03516). Dans cette affaire, la commune avait mis fin à la pratique des repas différenciés dans ses cantines scolaires à l’occasion d’un changement de délégataire.
La cour a rappelé que :
- Il n’existe aucun droit subjectif des usagers à l’obtention de repas adaptés à leurs convictions religieuses ;
- Cependant, les collectivités peuvent légalement proposer de tels repas, et elles doivent, en tout état de cause, tenir compte de l’intérêt général et de l’accès effectif de tous les enfants au service public de restauration scolaire.
La CAA a relevé que la commune n’avait pas cherché à évaluer concrètement les contraintes techniques, financières ou organisationnelles justifiant l’impossibilité de maintenir des repas différenciés. Elle a également rejeté l’argument selon lequel la préparation des repas en cuisine centrale, ou la nécessité de gérer informatiquement les demandes spécifiques, rendrait impossible la distribution de repas alternatifs, en l’absence de toute preuve en ce sens.
Dès lors, la cour a jugé la décision municipale illégale et a enjoint la commune de réintroduire les repas de substitution.
En résumé
Il résulte de l’état du droit et de la jurisprudence que si une commune n’a pas l’obligation de proposer des repas de substitution dans les cantines scolaires, elle ne peut interdire leur mise en place que sous réserve de justifications précises tirées de l’intérêt général, de l’organisation du service et des moyens disponibles. En aucun cas, le principe de laïcité ne saurait justifier à lui seul l’exclusion d’élèves du service de restauration scolaire en raison de leurs choix alimentaires.
Une décision imposant un menu unique rigide, sans évaluation concrète des conséquences pour les usagers, peut ainsi être sanctionnée par le juge administratif. Le contentieux de la restauration scolaire est donc un terrain de vigilance pour les communes, les familles et les établissements scolaires.
N.B. : le cabinet RD AVOCATS est compétent pour toutes les problématiques de droit administratif, et plus particulièrement de droit de l’éducation.
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