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Identité de genre en milieu scolaire : le Conseil d’État valide la circulaire destinée à protéger les élèves transgenres


Illustration transgenre

Le Conseil d’État considère légale la circulaire du Ministère de l’éducation nationale destinée à protéger les élèves transgenres, concernant notamment le respect du prénom d'usage choisi par ces élèves et l'usage des espaces d'intimité (CE, 4-1  chr, 29 déc. 2023, n° 463697)

 

 

Par une circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire », le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a adressé des recommandations à l'ensemble des personnels de l'éducation nationale afin de mieux prendre en compte la situation des élèves transgenres en milieu scolaire, de faciliter leur accompagnement et de les protéger.

 

A cet effet, la circulaire appelle notamment les établissements scolaires et leurs personnels à veiller, si l'élève dont l'état civil n'a pas été modifié en fait la demande, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur, à ce que le prénom choisi par l'élève soit utilisé par l'ensemble des membres de la communauté éducative et à ce qu'il soit substitué au prénom d'état civil de l'élève dans tous les documents relevant de l'organisation interne de l'établissement, y compris leurs espaces numériques.

 

La circulaire rappelle qu'il appartient également aux personnels de l'éducation nationale de s'assurer que l'expression de genre des élèves n'est pas remise en cause ou moquée et que les choix liés à l'habillement et à l'apparence sont respectés, sous réserve des restrictions imposées par des impératifs de sécurité et appliquées sans distinction selon le genre.

 

Elle invite, enfin, les établissements à tenir compte des préoccupations exprimées par les élèves sur l'usage des espaces d'intimité et à mettre en place des mesures générales et préventives pour lutter contre toutes les formes de discrimination, de harcèlement et de violence à l'égard des élèves transgenres.

 

II) Identité de genre et milieu scolaire inclusif

 

En droit, aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation :

 

« L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. »

 

Par ailleurs, les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II prévoient :


« Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance (...) ».

 

En l’espèce, il ressort des termes de la circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire », que les termes de la circulaire relatifs à l'usage du prénom choisi par les élèves transgenres recommandent aux personnels de l'éducation nationale de faire usage de ce prénom plutôt que du prénom inscrit à l'état civil dans le cadre de la vie interne des établissements et pour les documents qui en relèvent, tout en précisant que seul le prénom inscrit à l'état-civil doit être pris en compte pour le suivi de la notation des élèves dans le cadre du contrôle continu pour les épreuves des diplômes nationaux.

 

Le juge administratif a alors considéré qu’en préconisant ainsi l'utilisation du prénom choisi par les élèves transgenres dans le cadre de la vie interne des établissements, la circulaire litigieuse, qui a entendu contribuer à la scolarisation inclusive de tous les enfants, conformément aux dispositions de l'article L. 111-1 du code de l'éducation, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II ni aucune autre règle ou principe.

 

En outre, dès lors que ses recommandations sont sans incidence sur les mentions portées à l'état civil, la circulaire rappelant au contraire les dispositions de l'article 60 du code civil relatives à la procédure de changement de prénom et celles de l'article 61-5 du même code qui réservent aux personnes majeures ou mineures émancipées la possibilité de modifier la mention de leur sexe à l'état civil, les associations requérantes ne peuvent soutenir que les dispositions des articles 57, 60 et 61-5 du code civil auraient été méconnues.

 

III) Identité de genre, accompagnement et protection des élèves en milieu scolaire

 

Le Conseil d’Etat a ensuite considéré qu’il ressort des termes mêmes de la circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire »que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a entendu inviter l'ensemble des personnels de l'éducation nationale à mieux prendre en compte la situation des élèves transgenres en milieu scolaire, en vue de faciliter leur accompagnement, de les protéger, et, ce faisant, de leur ménager un environnement propice à leur réussite scolaire.

 

La circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire » précise que les mesures d'accompagnement tiennent compte de la diversité des situations, en se fondant de manière individualisée sur les besoins exprimés par les élèves et leur famille, dans le respect de l'autorité des représentants légaux et des règles communes à l'institution scolaire, et en laissant aux jeunes concernés « la possibilité d'explorer une variété de cheminement sans les stigmatiser ou les enfermer dans l'une ou l'autre voie ».

 

De ce fait, le Conseil d’Etat a considéré qu’en préconisant, dans ce cadre, l'utilisation du prénom choisi par l'élève transgenre dans la vie interne des établissements, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur, la circulaire litigieuse, qui n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, n'a pas porté illégalement atteinte à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

 

IV) Identité de genre, milieu scolaire, personnels de santé et respect du droit fondamental à la protection de la santé et du droit de tout individu de recevoir les traitements les plus appropriés à son état de santé

 

En droit, l’article L. 1110-1 du code de la santé publique prévoit que :

 

« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels et les établissements de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes ou dispositifs participant à la prévention, aux soins ou à la coordination des soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les collectivités territoriales et leurs groupements, dans le champ de leurs compétences respectives fixées par la loi, et avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. »

 

L’article L. 1110-5 du même code prévoit :

 

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions s'appliquent sans préjudice ni de l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé ni de l'application du titre II du présent livre.
 
Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré qu’en indiquant que « la prise en considération de l'identité de genre revendiquée de la part d'un ou d'une élève ne doit pas être conditionnée à la production d'un certificat ou d'un diagnostic médical ou à l'obligation d'un rendez-vous avec un personnel de santé », la circulaire n'a eu ni pour objet ni pour effet de déroger aux dispositions de l'article L. 541-1 du code de l'éducation qui confient en priorité aux personnels médicaux, infirmiers, assistants de service social et psychologues de l'éducation nationale la mission d'assurer des actions de promotion de la santé des élèves.

 

Le juge administratif a alors considéré que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut, dès lors, qu'être écarté, tout comme celui tiré de la méconnaissance du droit fondamental à la protection de la santé et du droit de tout individu de recevoir les traitements les plus appropriés à son état de santé définis aux articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, la circulaire étant sans incidence à cet égard.

 

V) Identité de genre, milieu scolaire et respect de la liberté de conscience des enseignants, des élèves et des parents

 

Le Conseil d’État a considéré que les termes de la circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire » recommandant aux personnels de l'éducation nationale de veiller à l'emploi du prénom d'usage de l'élève transgenre, avec l'accord de ses représentants légaux lorsqu'il est mineur ne sont pas de nature à porter une atteinte illégale à la liberté de conscience des enseignants, des élèves ou de leurs parents.

 

De la même manière, les termes de la circulaire critiquée ne méconnaissent pas le principe de neutralité des services publics, pas davantage que l'autorité parentale.

 

N’est pas non plus méconnue le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et du paragraphe 4 de l'article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les stipulations créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.

 

VI) Identité de genre, milieu scolaire et espace d’intimité

 

La circulaire du 29 septembre 2021 intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire » prévoit des options permettant le respect des espaces d’intimité que peuvent fréquenter les élèves transgenres, espaces qui peuvent être perçues comme inappropriés (ex : toilettes mixtes).

 

 

  • l'établissement, lorsque cela est possible, peut autoriser l'élève à accéder à des toilettes individuelles et à des espaces privés dans les vestiaires et au sein de l'internat ;

  • l'établissement peut autoriser l'élève à utiliser les toilettes et vestiaires conformes à son identité de genre, en veillant, quand l'élève concerné est identifié par ses pairs comme étant transgenre, à accompagner la situation ;

  • l'établissement peut autoriser l'élève à occuper une chambre dans une partie de l'internat conforme à son identité de genre dans les mêmes conditions ; une solution peut être recherchée en concertation avec les camarades de l'élève concerné pour le partage d'une chambre ; en tout état de cause, les solutions mises en œuvre devront nécessairement avoir fait l'objet d'un consensus ;

  • l'établissement peut convenir avec l'élève de la mise en place d'horaires aménagés pour l'utilisation des vestiaires et des salles de bain/douches collectives.

 

Par ailleurs, la circulaire précise qu’il convient d'exercer une vigilance particulière dans ces espaces où tous les élèves, et a fortiori  les jeunes transgenres, se sentent plus vulnérables et se trouvent plus particulièrement exposés aux risques de violences et de harcèlement.

 

Les choix relatifs aux toilettes, aux vestiaires et aux dortoirs doivent également, dans la mesure du possible, s'appliquer lors des déplacements, sorties et voyages scolaires. Les établissements scolaires peuvent être amenés, avec l'autorisation de l'élève et des représentants légaux, à communiquer - dans le cas par exemple d'une compétition sportive à l'extérieur ou d'un échange scolaire - avec un autre établissement ou une structure d'accueil pour s'assurer que l'élève aura accès à des installations sécurisées et conformes à ses besoins.

 

Sur ce point, le Conseil d’État a considéré qu’il ressort des termes mêmes de la circulaire litigieuse qu'elle se borne à identifier différentes options susceptibles d'être envisagées par les établissements concernant l'usage des espaces d'intimité par les élèves transgenres dans le but de tenir compte des préoccupations exprimées par ces élèves, la circulaire relevant à cet égard que, dans ces espaces, « tous les élèves, et a fortiori les jeunes transgenres, se sentent plus vulnérables et se trouvent plus particulièrement exposés aux risques de violences et de harcèlement ».

 

Le juge considère que les options éventuelles ainsi identifiées par la circulaire sont présentées comme devant être adaptées aux circonstances particulières de l'établissement, en fonction notamment de la disponibilité des lieux, et mises en œuvre en concertation avec l'ensemble des élèves concernés. Dès lors, les termes en cause de la circulaire ne sauraient, en tout état de cause, porter atteinte au droit des autres élèves au respect de leur vie privée et de leur intimité ainsi qu'au devoir des parents, au titre de l'autorité parentale, de protéger, dans leur intérêt, leurs enfants.

 

Partant, le juge a écarté les critiques fondées sur ce point en considérant que la circulaire vise à prendre compte la situation particulière des élèves transgenres sans méconnaître le principe d'égalité.


N.B. : Le cabinet RD AVOCATS est compétent en droit de l'éducation et de l'enseignement supérieur.

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